Vingt Dieux, le regard de Louise Courvoisier
Avec Vingt Dieux présenté au Certain Regard, Louise Courvoisier filme dans le Jura, le pays du comté. Un premier long métrage pour la jeune réalisatrice lauréate du premier Prix de La Cinef en 2019 avec son film d’école Mano à Mano. À travers l’histoire de Totone (Clément Faveau), 18 ans, elle dessine les contours de la campagne de son enfance.
Racontez-nous la genèse de votre film.
Le film est né de l’envie de parler de mon village, de faire un portrait de l’intérieur de la jeunesse avec laquelle j’ai grandie. J’avais envie de raconter avec tendresse et humour la trajectoire d’un jeune homme abîmé qui essaye de s’en sortir. Et le comté… Difficile de parler de ma région sans évoquer le comté, qui habille nos paysages et occupe nos agriculteurs. J’avais envie qu’il soit au cœur de l’intrigue.
L’atmosphère du tournage ?
Ce n’était pas un tournage conventionnel : on tournait dans mon village, une partie de l’équipe dormait chez moi… L’équipe était composée autant de techniciens que de membres de ma famille et de gens de la région. Le mélange était audacieux mais joyeux, les techniciens allaient parfois à la traite du matin avec les agriculteurs et certains ont même envisagé de s’installer dans le Jura. Pour moi, cette rencontre était essentielle pour que le tournage ne soit pas simplement une industrie éphémère qui vient se servir, tout bousculer puis repartir, mais au contraire, prenne le soin de nourrir une curiosité et un intérêt des uns pour les autres.
Une anecdote de plateau ?
Le vêlage (la naissance du veau), était une aventure cocasse : on voulait respecter le timing naturel de la vache, donc l’équipe se tenait prête à tout moment pour tourner la scène. Tout le plan de travail était fait en fonction de ce moment fatidique qu’on avait préparé pendant des mois. Dès qu’on a reçu l’alerte, on s’est précipités sur le décor, prêts à tourner ! Mais finalement, la vache ne semblait plus tellement prête à vêler… Pensant que ce n’était pas pour tout de suite, l’équipe s’est éparpillée, les acteurs sont sortis fumer une clope… Il n’y avait plus personne dans la pièce à part moi. C’est là que la vache a décidé de s’allonger et en quelques secondes, les pattes du veau sont apparues. Le temps de rameuter tout le monde, on a failli rater le vêlage. En 7 minutes, le veau est sorti, pile-poil le temps de la scène !
Quelques mots sur vos interprètes ?
Avec les directeurs de casting (Léa Gallego et Emmanuel Thomas), on a effectué un casting sauvage qui a duré plusieurs mois, sillonnant les courses de motocross, de stock-cars, les comices agricoles, etc. Il fallait trouver des profils qui ressemblaient aux personnages car aucun n’avait joué auparavant. Clément Faveau (Totone) est apprenti éleveur de volailles. Ça n’a d’ailleurs pas été simple de le convaincre de quitter ses poulets pendant deux mois pour tourner le film ! Dès le casting, il était parfait pour le rôle : vif, teigneux et sensible, il avait un caractère qui correspondait très bien au personnage. Il n’y a pas une seule scène sans lui dans le film, et il a tenu ce rôle pendant 8 semaines de tournage avec beaucoup de courage et de talent. Maïwène (Marie-Lise) est impressionnante, autant lorsqu’elle s’occupe de ses vaches que lorsqu’elle joue une scène. Dès son premier essai, alors qu’elle n’avait jamais fait ça auparavant, elle nous a scotchés par sa force et sa justesse.
Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre film ?
En grandissant à la campagne, j’ai souvent observé une pudeur émotionnelle autour de moi. Les gens ne s’étalent pas sur leurs états d’âme, parce que c’est comme ça qu’ils ont appris à gérer les coups durs : en encaissant. Ce qui n’empêche pas leur sensibilité et leurs failles d’exister, parfois là où on ne s’y attend pas. C’est ce que j’ai voulu raconter avec mes personnages à travers l’écriture et la mise en scène : ce mélange rugueux et fragile qui me touche.