Jacques Rozier, ou l’itinéraire d’un cinéaste protéiforme
Dans Jacques Rozier, d’une vague à l’autre, son documentaire présenté à Cannes Classics, Emmanuel Barnault dresse le portrait chronologique de ce cinéaste protéiforme qui, tout au long de son parcours, n’a eu de cesse d’œuvrer pour conserver la maîtrise de son art, quitte à se faire rare.
Comment ce projet de documentaire est-il arrivé sur votre table de travail ?
C’est une histoire de cinéphilie. Je suis entré dans le monde si libre de Jacques Rozier grâce à mon père, qui était distributeur de films. Dans les années 1980, il travaillait pour une société qui avait distribué Maine Océan, son quatrième long métrage, récompensé du Prix Jean Vigo en 1986. Cette œuvre a été comme une révélation car j’avais l’impression d’être à la fois au cinéma et en vacances.
C’est souvent ce que l’on ressent devant les films de Jacques Rozier…
On ne voit effectivement pas le temps qui passe, et lui s’amuse d’ailleurs avec l’espace-temps. C’est l’un des principaux bonheurs de sa cinématographie. Ce projet est également arrivé jusqu’à moi par l’acteur anti-héros qu’incarne Bernard Menez dans sa filmographie. Son côté dégingandé et maladroit me faisait rire. Il y a une dizaine d’années, j’ai voulu réaliser un documentaire sur les liens entre Rozier et Menez, mais le projet n’est pas allé à son terme. Il y a un an, Jacques Rozier est mort et j’ai eu l’idée de bâtir un film d’archives que j’ai pu compléter avec des extraits audio et audiovisuels.
Pourquoi avoir choisi de laisser Jacques Rozier se raconter ?
Je n’aime pas les narrateurs. J’évite les voix off et les commentaires. Je préfère rester à contre-courant et laisser le ou les protagonistes se raconter eux-mêmes. Et puis, j’avais aussi à ma disposition quelques intervenants extérieurs tels que Pascal Thomas, François Truffaut, Serge Toubiana, Serge Daney et Bernard Menez capables de très bien le faire !
Comment s’est dessinée la structure du documentaire ?
J’ai bâti le film dans une sorte de chronologie thématisée, mais il était évident qu’il me fallait commencer par la pierre angulaire qu’est la Nouvelle Vague. Blue Jeans (1958), au même titre que La Pointe Courte, d’Agnès Varda, sont les deux films qui ont lancé le mouvement. Je voulais également intégrer une pastille sur ses travaux de réalisateur de télévision à une période où elle était encore expérimentale. La seule chose que l’on puisse regretter, s’agissant de Jacques Rozier, c’est que sa filmographie est maigre : il n’a réalisé que quatre films et trois courts métrages.
Pourquoi ?
Il avait un rapport conflictuel avec l’argent. C’est un cinéaste qui a toujours cherché à garder son indépendance. Il a donc eu du mal à s’adapter aux modèles de production. Certains jouissent d’une certaine liberté parce qu’ils ont beaucoup de moyens, et d’autres, à l’inverse, préfèrent rester maîtres de leurs projets de bout en bout pour conserver cette liberté. Rozier était de ceux-là aussi car il avait du mal à déléguer. Il était très exigeant et voulait tout faire lui-même.
Quel rôle a joué sa passion pour la musique dans son parcours ?
Jacques Rozier était autant mélomane que cinéphile. Il prêtait beaucoup d’attention à la musicalité des voix. Il citait souvent Marcel Pagnol comme l’un de ses réalisateurs préférés, notamment pour la musicalité des dialogues, mais aussi Vicente Minelli. Il aurait d’ailleurs voulu faire des comédies musicales. C’est un cinéaste qui savait prendre son temps, mais ses films sont étirés dans un vrai tempo. Rozier était un spécimen rare. Il était protéiforme car il aimait l’expression artistique. C’était un cinéaste qui était dans sa bulle et c’est ce qui le rendait hors normes.
Une production INA et mk2 Films avec la participation de Ciné+. Jacques Rozier ou l’itinéraire farouche, indépendant et inadapté à toute forme d’obéissance d’un réalisateur en perpétuel décalage, admiré de ses pairs et choyé par la critique.
En présence d’Emmanuel Barnault et de Laurent Vallet, président de l’INA.