Rosaura a las 10 : le chef d’œuvre de Mario Soffici restauré
Fernando Madedo a supervisé la restauration de Rosaura a las 10, pièce maitresse de l’œuvre de l’Argentin Mario Soffici, présentée à Cannes Classics. Il parle en entretien de ce qu’a représenté ce réalisateur dans son pays.
Qui était Mario Soffici ?
« Don Mario », comme l’appelaient ses collègues en raison du respect qu’il inspirait, est l’un des réalisateurs les plus importants d’Argentine, qui a joué un rôle fondamental dans la naissance du cinéma sonore et la consolidation de l’industrie cinématographique du pays. D’abord acteur, il a tourné l’un des premiers films d’Argentina Sono Film, El alma del bandoneón (1935). Sa vaste filmographie comprend d’importants classiques du cinéma argentin tels que Kilómetro 111 (1938), La cabalgata del circo (1945) ou Barrio gris (1954) et, bien sûr, Rosaura a las 10 (1958). Beaucoup de ces films sont des jalons de l’âge d’or de notre cinématographie. Il s’est distingué par sa capacité à traiter de thèmes variés, à s’engager dans la société en tant que réalisateur et précurseur du drame social. Il a filmé dans le pays du nord au sud et d’est en ouest, adapté des œuvres de la littérature universelle et nationale et il avait une formidable capacité à mêler les styles cinématographiques, comme le montre clairement le film Rosaura a las 10. Son importance dans le cinéma argentin n’est pas seulement marquée par les films qu’il a réalisés, mais aussi par son action politique en faveur de l’industrie cinématographique locale. Il fut le premier président de l’organisation des réalisateurs qu’il avait fondée.
Quelle est l’importance de Rosaura dans sa filmographie ?
Rosaura a las 10 est l’un des derniers films de Soffici et l’un des plus appréciés de sa carrière. Soffici était déjà expérimenté, mais il utilise ici les nouvelles ressources cinématographiques de façon magistrale. Il fait usage de l’écran large, l’AlexScope, variante du CinemaScope, et démontre sa créativité derrière la caméra en naviguant entre les genres cinématographiques avec une habileté exceptionnelle. Il modifie le cadrage en fonction des différents points de vue du film, un trait distinctif de l’intrigue qui le relie au Rashomon (1950) de Kurosawa.
« Ce qui est important dans un film, ce n’est pas le genre auquel il appartient, mais la manière dont il est fait. »
Soffici déclarait cela lors d’une conférence et confirmait ainsi sa conscience de la forme cinématographique. Ce film est extrêmement important dans l’histoire du cinéma argentin, car il met en crise le système narratif classique et sert de tournant vers la modernité.
Le film est-il un reflet de la société argentine de l’époque ?
« J’ai toujours pensé qu’un réalisateur devait être un témoin de son époque », disait Mario Soffici. Bien que la réception du film ait pu susciter quelques critiques sur la façon dont le groupe de personnages est dépeint, il offre un reflet social de l’époque sous divers aspects : de la petite bourgeoisie à la migration des provinces vers la grande ville, en passant par l’habitat populaire typique conçu comme une pension de famille, très caractéristique, qui abritait principalement des travailleurs migrants, des étudiants, des artistes et des personnes âgées aux revenus limités. En outre, il présente différents cadres urbains, le centre de la ville, le quartier de « Once » et les banlieues, et l’activité criminelle des délinquants.