Scénarios, le dernier cadeau au cinéma de Jean-Luc Godard
Quelques heures avant de quitter le 7e Art pour l’éternité, Jean-Luc Godard a bouclé Scénarios, un court métrage inédit que le Festival de Cannes a l’honneur de présenter en avant-première mondiale. Fabrice Aragno, l’un de ses plus proches collaborateurs, témoigne des derniers instants de cette ultime création « d’une riche vivacité ».
« Le film Scénarios prend racine à la suite du Livre d’image, en 2018. Le projet était alors ample, mais il y a eu les vagues successives de Covid et les écrasantes canicules qui, de concert, l’ont retardé, repoussé, isolé, épuisé. Malgré cela, Jean-Luc n’a cessé de poursuivre la composition à la petite table en bois, d’écritures-collages-peintures.
Malheureusement, contrairement à son esprit encore vif, l’épuisement avait gagné son corps. Cinq jours avant sa mort, la date du dernier jour nous a été annoncée pour le mardi suivant. Le lendemain, vendredi, Jean-Luc me demande à le voir, je le retrouve en fin d’après-midi, assis à son petit lit, avec sur les genoux, un humble cahier A4 avec « Scénarios » dessiné et écrit au stylo bleu.
En quelques heures, il m’expose le film à faire, composé d’images fixes, d’extraits de films et de sons que nous recherchons ensemble. Mais il manque un texte, le texte final, un Sartre rare que nous ne retrouvons plus. Nous appelons Jean-Paul Battaggia qui, miraculeusement, retrouve ce livre in extremis à Paris le lendemain, le samedi, et me l’envoie aussitôt par Internet. Je l’imprime et l’apporte illico à Jean-Luc en fin de journée en même temps que son cahier scénario-plan de montage afin qu’il puisse faire tous les rajouts possibles, en espérant que, porté par la vitalité de la création, il reporte le rendez-vous fatidique du terrible mardi qui approche…
Fébrilement, je passe la nuit du samedi à monter ce film pour le lui apporter le lundi, jour de notre rendez-vous nous dire au revoir. Lundi arrive, je le rejoins avec Jean-Paul, venu de Paris. Et là, sur le cahier de montage, en rouge cette fois, il avait re-dessiné, écrit, la deuxième partie du film à faire, qu’il nous expose à Jean-Paul et moi, dans la vivacité de la création, et dont le dernier plan serait filmé sur lui, assis à son petit lit, récitant le texte de Sartre.
Nous installons ce petit tournage, image, son, clap, deux prises, coupe. C’était lundi en fin d’après-midi… au revoir. L’exposé du Film annonce du film Scénarios, modestement capté l’année précédente, raconte et partage cette riche vivacité ».