Rencontre avec Julia Ducournau, membre du Jury des Longs Métrages
La Palme d’or pour Titane en 2021 consacrait le cinéma de Julia Ducournau en même temps que le film de genre. La cinéaste prend une pause dans l’écriture de son troisième long métrage pour rejoindre le Jury présidé par Ruben Östlund et nous raconte les coulisses de sa fabrique à monstres.
Qu’est-ce qui vous inspire pour l’écriture d’un scénario ?
Dans mon cheminement, il est question d’aller toujours plus loin, d’éviter la redite. J’essaie de creuser dans ce qui me paraît le plus impossible d’exprimer. D’ailleurs, c’était le cas pour Titane. Je m’étais rendue compte après Grave qu’il m’était compliqué de parler d’amour frontalement. J’ai donc essayé d’en parler à ma manière, en faisant ressentir plutôt que de dire. Ça a été un très gros challenge.
“ L’idée, c'est d'aller à un endroit où on ne pensait jamais aller. La beauté, c'est que le cinéma nous mène là. Disons que ce qui m'inspire, c'est la difficulté. ”
Quelles émotions vous traversent pendant ce processus d’écriture ?
L’émotion qui règne, c’est la peur. Je la ressens 90 % du temps et c’est l’ennemi à abattre. C’est une peur de ne pas aller à l’endroit où on voudrait aller, de se décevoir soi-même, de ne pas réussir à attraper la note juste. Cela dit, quand on arrive à la saisir, que ce soit pour une scène ou un bout de dialogue, ce sont des moments d’extase purs et ça vaut les 90 % de peur et de tétanie.
Quelles libertés vous accordez-vous pendant le tournage ?
Je crois en la préparation la plus précise et la plus solide. Avant un film, je fais un découpage entier, je le revois, je le décline en plusieurs versions et j’en parle aussi avec mon chef opérateur et ma première assistante. Tous les jours, quand j’arrive sur le plateau, j’ai ce découpage en main. Je sais exactement quelles sont mes intentions. Et en même temps, il y a une part d’abstrait, car ce document est conçu avant même d’avoir trouvé les décors, avant de savoir si on peut installer une grue à tel endroit, etc. Chaque jour, je relis mon découpage, je me rappelle du mouvement que je voulais insuffler aux scènes et parfois, finalement, je me dis : « Non, ça ne marche pas tout à fait. » Une fois qu’on pose la caméra là, ça tombe totalement à plat. Ce mouvement, ce n’est pas exactement juste.
“ Plus on a une colonne vertébrale solide et plus il est facile de rebondir et de s'adapter à la réalité du plateau. ”
Et évidemment, des intuitions que je n’ai pas eues à l’écriture surgissent sur le tournage.
Avez-vous des obsessions, des règles spécifiques en montage ?
En montage, je suis très instinctive. C’est là encore une histoire de colonne vertébrale. Mon monteur me dit que j’écris « monté ». Dans le scénario, il y a déjà la manière dont les scènes finissent, les transitions… Il y a cette colonne vertébrale mais, quand je suis en salle de montage, mes intuitions et mes émotions priment. Je suis quelqu’un de très impatient. J’ai vraiment cette folie où je me dis : « Est ce qu’on se fait chier ? » J’ai donc tendance à énormément couper. Il est arrivé que mon monteur me dise : « Bon, Julia, attends deux secondes. On a besoin de respirer un peu. » Et heureusement qu’il est là pour me le rappeler. Mais il est vrai que j’ai une obsession de l’attention, parce que sans elle, il n’y a pas d’émotion.
Qu’a changé la Palme d’or pour Titane dans votre rapport à l’industrie cinématographique ?
C’est difficile à intégrer. Ça n’a rien changé puisque je continue à faire les choses de la même manière que je le faisais avant, mais d’un pur point de vue de la production, si on met de côté l’aspect artistique, ça rend les choses plus simples au sein de l’industrie.
Et pour le financement de films de genre en général ?
Cet espoir, je le nourris depuis longtemps. Je ne sais pas si plus de films de genre sont produits. Ce qui est sûr, c’est que je me bats et me battrai toujours pour qu’on comprenne qu’il n’y a pas de sous cinéma. Il n’y a pas de raison de mépriser une fabrication plus qu’une autre. Le genre, c’est un eldorado, en France particulièrement. Aux États-Unis, en Scandinavie ou en Corée du Sud, c’est très reconnu et respecté, au même titre que le drame ou la comédie. En France, il y a encore un boulevard qu’il serait intéressant d’investir.
“ Derrière le genre, il y a une vraie expression artistique. Ce n’est pas juste de l'entertainment. ”
Le genre, l’horreur surtout, recèle tellement de jeux de symboles que, en tant que metteur en scène, quand on veut s’exprimer à travers la technique, ça donne lieu à des plans incroyables. Ils vont chercher dans l’inconscient du spectateur, ce qui est extrêmement important pour moi.