RENCONTRE – Lynne Ramsay : « J’aime pousser les formes d’expressions visuelles jusque dans leurs retranchements »

Lynne Ramsay © FDC / GT

Tout juste diplômée, Lynne Ramsay effectue des débuts fracassants derrière la caméra. Small Deaths (1996), son court-métrage de fin d’études, remporte le Prix du Jury à Cannes. Depuis, la carrière de la cinéaste écossaise s’est enrichie de nombreux autres courts, mais aussi de trois longs métrages : Ratcatcher (1999), Morven Callar (2002), et We Need To Talk About Kevin (2011), présenté à Cannes. Considérée par la critique comme l’un des plus solides représentants du cinéma britannique, la réalisatrice s’est confiée sur son rapport au cinéma.

Qu’est-ce qui vous a mené à la réalisation ?
J’ai plus ou moins toujours été faite pour cela. J’ai fait beaucoup de photographie avant d’intégrer l’école de cinéma, où j’ai étudié la cinématographie et appris à me servir d’une caméra. Comme la photographie, la réalisation me permet de me concentrer sur des détails. C’est certainement pour cette raison que j’ai choisi de passer derrière la caméra. De plus, bien qu’étant des gens très simples, mes parents m’emmenaient voir beaucoup de films, en particulier les grands classiques. Et puis à 16 ans, j’ai découvert Blue Velvet, de David Lynch. J’ai été fascinée.

Vos débuts ont été très remarqués…
En effet, j’ai été très chanceuse. Mon film de fin d’études, Small Death, a été sélectionné à Cannes et a remporté le Prix du Jury. Cette récompense a évidemment beaucoup accéléré les choses.

Quel souvenir gardez-vous de l’écriture et du tournage de votre premier film ?
Je me souviens avoir emprunté une caméra de l’école de cinéma. La direction devenait folle car j’ai tourné pendant deux semaines avec ce matériel. J’ai tourné en Écosse avec des acteurs non professionnels. Je me souviens que la lumière était très belle. C’est à ce moment-là que j’ai compris que j’avais un talent naturel pour la réalisation et que ce métier était fait en moi.

Qu’est-ce qui fait un bon film selon vous ?
Pour moi, un bon film doit forcément raconter une bonne histoire, mais plus encore, il doit savoir manier le langage du cinéma. Pour me toucher, un film doit être très visuel. Le son, la musique et les personnages sont également des critères très importants : encore une fois, ce qui me plaît, ce sont les détails. On peut dire tellement de choses d’une histoire par l’image… Pour ma part j’aime montrer les choses d’une façon originale, j’aime pousser les formes d’expressions visuelles jusque dans leurs retranchements. J’aime me mettre en danger, tenter des choses, et apprendre de ces expériences.

Quelles sont les étapes de votre processus de création ?
Je fonctionne de façon très visuelle. J’ai des idées de scènes, des images qui me viennent et c’est souvent ce qui donne vie à mes personnages. Tu apprends toujours de tes expériences antérieures, de tes questionnements, de tes erreurs et en même temps, à chaque fois que je débute un film, c’est un peu comme si c’était la première fois. Je pense que j’ai évolué dans ma façon de faire des films. J’ai affiné ma méthode.

 

Lynne Ramsay © FDC / GT

Vous avez également réalisé de nombreux courts-métrages. Ce format a-t-il toute la reconnaissance qu’il mérite selon vous ?
C’est un format malheureusement peu accessible pour le grand public. Pour les cinéastes, c’est en revanche un format très intéressant pour tenter de nouvelles expériences. C’est aussi un plaisir différent de celui d’un long-métrage, où il y a beaucoup d’argent en jeu et des équipes importantes. J’en ai présenté un à la Quinzaine des réalisateurs cette année. J’avais besoin de me lâcher, notamment sur la forme. Le réaliser a été comme une récréation.

De quelle façon dirigez-vous vos acteurs ?
Tout dépend de la relation que j’ai avec eux. La plupart des acteurs que j’ai dirigés sont devenus mes amis. De manière générale, j’arrive toujours à obtenir d’eux ce que je veux. J’ai besoin qu’ils s’abandonnent à moi, qu’ils me fassent confiance, mais aussi à ma vision des choses. J’arrive ainsi parfois à les pousser dans leurs retranchements, là où ils ne se seraient jamais aventurés. We Need To Talk About Kevin était un film très sombre mais sur le plateau, nous étions comme une grande famille, Nous jouions de la musique, nous cuisinions… Il y a plein de choses fantastiques dans la réalisation d’un film. Et la plus fantastique d’entre-elles, c’est de les tourner ! La moins amusante, c’est évidemment de le financer. Mais c’est ma vie et j’adore ça. La réalisation me garde en vie. Je ne m’ennuie jamais, mais mentalement, c’est épuisant.

Que manque-t-il selon vous au cinéma écossais d’aujourd’hui selon vous ?
Nous avons de très bons réalisateurs, avec des univers très intéressants, mais notre problème, c’est notre accent ! Aux États-Unis, ils ont besoin des sous-titres pour voir nos films ! Au Royaume-Uni, nous avons la chance de recevoir beaucoup d’aides du gouvernement tandis qu’aux États-Unis, les jeunes réalisateurs ont beaucoup plus de mal à percer. Enfin, il serait bon de voir le rapport hommes/femmes s’équilibrer dans le cinéma. Cela dit, je me considère comme une réalisatrice du monde même si je suis écossaise parce que j’y suis né et j’y ai grandi.

Propos recueillis par Benoit Pavan