Entretien avec Todd McCarthy, membre du Jury Un Certain Regard
Fidèle au Festival de Cannes, qu’il fréquente depuis 1970 et a couvert pour Variety et The Hollywood Reporter, Todd McCarthy a ôté sa casquette de critique pour siéger cette année au sein du Jury Un Certain Regard. Également écrivain et réalisateur de documentaires sur le cinéma, le journaliste donne sa vision de son métier.
Qu’avez-vous ressenti lorsqu’on vous a demandé de faire partie de ce Jury ?
Je viens à Cannes depuis 1970 et cela fait probablement de moi, à peu de choses près, l’un des plus anciens de cette édition ! Blague à part, c’est une grande émotion de faire partie de ce jury. Cette année, pour la première fois, je n’ai pas besoin d’écrire un seul mot. C’est un véritable plaisir d’être ici dans ces circonstances. Cannes, c’est le plus grand festival au monde et c’est pour cette raison précise que j’y suis venu pour la première fois quand j’avais 20 ans. J’ai même oublié comment j’avais pu obtenir une accréditation. Je devais voir cinq ou six films par jour.
Quelle différence constatez-vous avec le festival tel qu’il est aujourd’hui ?
Je pense que la principale différence réside dans le fait qu’à la fin des années 60 et 70, l’influence française était beaucoup plus prononcée. C’est une époque où l’industrie cinématographique française était très puissante. Aujourd’hui, il y a des films qui viennent du monde entier et l’influence est plus équitablement répartie. Actuellement, il y a beaucoup plus d’intérêt pour les films qui viennent d’endroits que nous ne connaissons pas beaucoup ou qui ont de petites industries que nous ne remarquons que maintenant. L’autre différence, c’est que l’accès aux professionnels, aux cinéastes et aux actrices était plus fluide à l’époque. Toutes les équipes de films étaient beaucoup plus facilement accessibles : on pouvait les croiser dans les restaurants, les bars, ou en se promenant. Il n’y avait pas de barrières entre les VIP, les stars et les autres. Et les conférences de presse étaient toujours de très grands moments. J’avais pu côtoyer assez facilement de très grands noms, d’Otto Preminger à Jack Nicholson. Il n’y avait pas les barrières que nous connaissons aujourd’hui. Mais le Festival a toujours conservé son intégrité et sa stature dans le monde du cinéma est toujours énorme.
Vous qui avez vécu l’âge d’or de la critique, comment voyez-vous son évolution ?
Il est difficile de dire quel sera l’avenir de la critique cinématographique. Il y a des critiques partout qui écrivent et qui peuvent attirer l’attention grâce aux nouveaux médias. Elle s’est donc beaucoup fragmentée en raison de la télévision et la vidéo amateur. Il y a beaucoup de façons différentes d’utiliser les médias aujourd’hui et nous verrons ce qui se passera. Je ne dirais pas que la qualité est meilleure ou pire, mais il y aujourd’hui tellement de moyens de s’informer sur les films et de savoir s’ils vous intéressent, s’ils sont bons ou s’ils valent la peine d’être vus… Je pense donc que les critiques ne sont plus aussi puissantes qu’auparavant. En revanche, si des critiques de premier plan soutiennent vraiment un nouveau film ou un nouveau réalisateur dont vous n’avez pas vraiment entendu parler, alors elles peuvent encore jouer un rôle majeur en mettant ces personnes sur la carte du monde.
Quels conseils donneriez-vous à un nouveau critique de cinéma ou à un cinéphile qui souhaite devenir critique de cinéma ?
Je dirais simplement qu’il faut essayer ! Dans mon cas, c’était à l’université au sein du journal étudiant. Aujourd’hui, vous pouvez publier des articles en ligne et vous faire connaître. Je pense qu’il y a de la place, non seulement pour les grands critiques, mais aussi pour d’autres personnes et pour les jeunes. S’ils ont le doigt sur le pouls de quelque chose de nouveau, ils peuvent le faire connaître plus rapidement, sans avoir à se battre pour faire partie d’un journal ou d’un magazine.
Il y a un film ou un cinéaste que vous recommanderiez sans hésitation ?
Au cours des vingt ou trente dernières années, des cinéastes comme Stanley Kubrick ont été extrêmement importants. En Europe, il y a eu Buñuel et la Nouvelle Vague. Ils ont montré qu’une nouvelle ébullition dans le cinéma était possible et que les studios n’étaient plus les seuls capables de le renouveler. Les années 1950 et 1960 ont été vitales, surtout pour le cinéma français. Depuis, beaucoup d’artistes formidables sont arrivés chaque année, y compris aux États-Unis. Depuis quelques années, les femmes font l’objet d’une grande attention. Il faut vraiment qu’il y ait beaucoup plus de jeunes femmes qui entrent dans l’industrie. C’est quelque chose que je ressens depuis de nombreuses décennies.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je travaille sur un scénario depuis très longtemps. C’est pour cette raison que je suis venu en France cette année, et je l’ai presque terminé. J’écrirai ensuite un livre sur mon séjour à Hollywood, en commençant par les premiers films que j’ai vus. Je veux regarder cette période d’une manière très personnelle : évoquer ce que ces films ont signifié pour moi à certains moments de ma vie, et comment ils ont été reliés à tout ce qui se passait dans le monde du cinéma. Je veux l’écrire comme une autobiographie personnelle et injecter des films à chaque étape. Ce sera un livre biographique cinématographique.