Le Royaume, le regard de Julien Colonna

LE ROYAUME © Chi fou mi productions

Avec Le Royaume, Un Certain Regard nous emmène sur les routes corses en 1995, le temps de la cavale d’un homme avec sa fille. Il s’agit du premier film de Julien Colonna qui promet une expérience authentique sur son île à l’histoire chargée et à la culture complexe.

Racontez-nous la genèse de votre film.

La genèse remonte à six ans, quand ma femme m’a annoncé qu’elle était enceinte. Cela a constitué un vrai bouleversement émotionnel. Inconsciemment, je me suis interrogé sur l’enfant que j’allais avoir, le père que j’allais tenter d’être, et inévitablement l’enfant que j’avais été, les parents que j’avais eus. Un souvenir prégnant de l’enfance m’est alors revenu : j’avais 10 ans, j’étais avec mon père et ses amis dans un campement de fortune en bord de mer, sans rien ni personne autour. On pêchait, on dormait à la belle étoile, c’était la vie sauvage. J’ai appris des années plus tard que ce moment avait été un tout autre enjeu pour lui. Ce souvenir en tête, l’idée du film a émergé : un père et sa fille qui, le temps d’une cavale qui tourne mal, tentent d’apprendre à se connaître, à se comprendre et à s’aimer.

 

Une anecdote de plateau ?

Le dernier jour de tournage, on était censés filmer une ultime scène de pêche sur un bateau au milieu du golfe d’Ajaccio. Mais en dernière minute, le ciel s’est chargé, la mer s’est levée et le propriétaire du bateau était injoignable. On est arrivés in extremis à trouver un vieux rafiot qui ne correspondait en rien au brief de départ, mais c’était ça ou rien. Nous voilà donc partis en mer, sans trop s’éloigner des côtes car la houle était de plus en plus forte et commençait à secouer. Le soleil n’était presque plus là, il nous restait une heure au lieu des quatre prévues pour tourner la scène. Saveriu (Pierre-Paul) commençait à être malade. On a dû revoir notre manière d’aborder la scène, via un découpage plus minimaliste, des dialogues resserrés et c’est passé de justesse avant la nuit. Lors d’une prise, Saveriu, qui était resté digne jusqu’au bout, a même pêché plusieurs poissons malgré lui pour la première fois de sa vie en jetant la ligne à l’eau. C’était le signe qu’on était sur le bon chemin.

 

Quelques mots sur vos interprètes ?

Une grande majorité d’entre eux sont des non-comédiens issus de la société corse, sélectionnés à l’issue de nombreux call-backs pour leur sensibilité, leur capacité de travail et leur nature profonde. Une fois choisis, Ghjuvanna (Lesia) et Saveriu (Pierre-Paul) ont travaillé sans relâche. Travailler avec eux, le clan et tout le reste du casting fut une aventure humaine et spirituelle des plus extraordinaires. Ils se sont laissé guider sans savoir où ils allaient, juste à la confiance qu’ils m’ont portée.

 

Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre film ?

Au travers de cette relation filiale qui peine à exister dans un contexte où tout se meurt, j’ai souhaité montrer la voyoucratie dans son inévitable extinction programmée. Dépeindre ces hommes comme les pénitents de leur propre existence qui portent leur croix jusqu’à la chute. Si le film est vu par un seul jeune qui envisage ce chemin de vie et remet en question ses choix, ce sera déjà une victoire.